TRIBUNE – Le maire de Neung-sur-Beuvron relate les remontrances de l’ordre des médecins pour avoir fait de la publicité autour d’un jeune généraliste et urgentiste revenu s’installer sur le territoire publiée dans l’édition du Figaro du 2 mai et à retrouver sur le site FigaroVox
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C’est un film comme on les aime, une peinture sensible de notre réalité française, une version colorisée de nos campagnes oubliées. Dans les salles depuis le 23 mars dernier, le film Médecin de campagne a déjà largement franchi la barre symbolique du million d’entrées. Ce succès mérité, il le doit, bien sûr, à ses qualités de mise en scène (le réalisateur Thomas Lilti) et d’interprétation (les comédiens François Cluzet et Marianne Denicourt). Mais il y a autre chose: cette réalité des femmes et des hommes qui ont choisi d’exercer «en zone rurale» – qu’ils y soient nés ou qu’ils aient décidé de quitter la ville -, ce drame contemporain de la désertification médicale, c’est pour beaucoup, éloignés de tout et oubliés de tous, bien plus qu’une fiction qui émeut le temps d’une séance, mais bien une réalité familière, un abandon vécu, un combat de chaque jour.
Cette réalité, je la connais et je la vis dans ma province de Sologne, à Neung-sur-Beuvron, commune rurale dont j’ai l’honneur et le bonheur d’être le maire. La France périphérique, l’agriculture assassinée, les territoires oubliés, mais aussi la solidarité rurale, la force du travail, la volonté de rester libres ne sont pas chez nous des concepts ou des slogans, mais une réalité concrète, un cadre de vie, un état d’esprit.
C’est dans cet état d’esprit justement que je me suis battu, avec l’ensemble de la population, pour faire revenir au pays le médecin que nous n’avions plus, obligeant nos familles, nos malades, nos anciens, à faire des kilomètres ou à se résigner à vivre au milieu du désert médical. Et rapidement, parce que la volonté triomphe de tout, nous avons accueilli notre médecin, un jeune médecin français de 32 ans généraliste et urgentiste, venu s’installer chez nous pour le bonheur de tous: un médecin dans la commune, c’est toute la commune qui se sent mieux! Honneur aux nouveaux médecins de campagne, aux médecins de famille des temps modernes, qui font honneur à leur serment en choisissant les lieux où l’on a besoin d’eux! On l’accueille, on le célèbre, on publie la bonne nouvelle dans notre bulletin municipal et auprès de nos concitoyens.
Me voici revenu au temps de Molière: un collège de médecins malgré nous, un ordre pontifiant de précieux ridicules, au chevet d’un monde rural presque à l’agonie, et qui nous donne la leçon!
Dans un film, on se serait bien entendu arrêté sur ce happy end, mais la réalité réserve parfois des rebondissements plus inattendus… Je reçois à la mairie, dans les quelques jours qui suivent, un courrier de l’ordre des médecins. Je m’empresse de l’ouvrir, certain d’y trouver le soutien de toute une profession, les encouragements de la corporation, et pourquoi pas des propositions de nouvelles candidatures? Rien de cela: c’est la douche froide! La noble institution veut nous faire un procès. La prescription est rude: on ne doit pas faire de publicité à son médecin, ni donner son adresse, ni indiquer ses horaires, sous peine de poursuite! Un médecin au village? Que nul ne le sache, que nul ne s’en réjouisse, ou que le village paie: voilà l’ordonnance de l’ordre des médecins!
Je laisse aux bureaucrates leur serment d’hypocrites
Me voici revenu au temps de Molière: un collège de médecins malgré nous, un ordre pontifiant de précieux ridicules, au chevet d’un monde rural presque à l’agonie, et qui nous donne la leçon! Plus un médecin pour faire une ordonnance, mais un parterre de doctes docteurs pour rédiger une lettre de remontrances! Parce que j’ai chassé mon médecin? Non, parce que je l’accueille! J’ai bien entendu docilement répondu à l’Ordre, en tentant d’expliquer le plus pédagogiquement du monde – imaginez la difficulté de l’exercice – qu’il me semblait incongru de reprocher à un maire d’avoir informé ses concitoyens de l’arrivée d’un nouveau médecin dans leur commune.
Je laisse aux bureaucrates leur serment d’hypocrites, et garde ma pépite au serment d’Hippocrate! Il existe, dans les profondeurs du pays, suffisamment de ressources pour redresser la France: que le salut ne vienne pas de ceux qui pensent, qui décident, qui gouvernent, voilà qui ne nous fait pas peur. Depuis quelque temps, nous le savons, l’exemple vient d’en bas. Mais que cette soi-disant élite empêche la France profonde, provinciale et rurale, agricole et artisanale, méritante et combative, de rendre à la France ses couleurs, voilà ce que nous ne laisserons jamais faire. Entendez-vous, dans nos campagnes…?
– Crédits photo : Jean-Michel Turpin/Le Figaro Magazine